Abdère

  • Léon Renier
  • Encyclopédie moderne

Abdère, Άβδηρα, τά, ancienne ville maritime de la Thrace, située dans le pays des Bistons, un peu à l’est de l’embouchure du Nestus, et presque en face de l’île de Thasos.

« Les habitants de Téos furent, dit Hérodote, avec les Phocéens, les seuls d’entre les Ioniens qui préférèrent la liberté au sol de la patrie. Quand ils virent Harpagus maître de leurs murailles, ils s’embarquèrent tous, et allèrent dans la Thrace fonder la colonie d’Abdère. Cette ville existait déjà ; elle avait été bâtie par Timésius de Clazomène. Mais cet homme n’avait retiré aucun fruit de son établissement : il en avait été chassé par les Thraces. Les Téïens qui habitent Abdère l’honorent aujourd’hui comme un héros[1]. »

Le même historien nous apprend que les Phocéens ne persistèrent pas tous dans leur généreuse résolution, et que leur flotte n’était pas encore arrivée en vue de la Corse, que plus de la moitié d’entre eux, atteints du mal du pays, retournaient la proue de leurs vaisseaux et faisaient voile vers l’Asie[2]. Suivant Strabon[3], il en fut de même des Téïens, dont une partie revinrent également habiter la métropole. Aussi bien, malgré le proverbe auquel leur émigration avait donné lieu[4], ils avaient peu gagné à quitter les rivages de l’Ionie. Les Perses ne tardèrent pas à passer en Europe. Xerxès, en traversant la Thrace, choisit Abdère pour une de ses étapes, et les émigrés de Téos, faisant sans doute contre fortune bon cœur, accueillirent le grand roi avec une généreuse hospitalité. Mais cet honneur leur coûta cher : à peine Xerxès avait-il quitté leurs murs, qu’un citoyen, nommé Mégacréon, présenta dans l’assemblée du peuple un décret portant que tous, hommes et femmes, se rendraient immédiatement dans les temples, pour supplier les dieux de leur épargner à l’avenir la moitié des maux dont ils étaient menacés, et leur rendre, pour le passé, de solennelles actions de grâces, de ce que l’hôte illustre qu’ils venaient de recevoir, n’avait pas l’habitude de faire par jour deux repas ; car s’il avait fallu lui offrir un déjeuner semblable au dîner qu’il avait pris, ils se seraient trouvés dans la dure alternative ou de fuir de nouveau devant les Perses, ou de se voir entièrement ruinés[5]. Quoi qu’il en soit, Xerxès, à son retour, s’arrêta encore chez les Abdéritains, et cette fois il leur laissa, comme gage d’hospitalité, un cimeterre d’or et une tiare tissue de fils de même métal[6].

L’histoire ne fait plus ensuite mention des Abdéritains, qu’à de rares intervalles. Dans la 1re année de la 96e olympiade (396 av. J. C.), Trasybule, après avoir soumis les Thasiens, s’approcha d’Abdère, avec quinze vaisseaux, et la força d’embrasser l’alliance des Athéniens ; c’était alors une des villes les plus puissantes de la Thrace[7].

La 1re année de la 101e olympiade, les Triballes vinrent ravager son territoire ; ses habitants allèrent en bon ordre à leur rencontre, tombèrent sur eux à l’improviste, et en firent un grand carnage. Mais ce succès fut suivi d’un cruel revers : les barbares revinrent bientôt plus nombreux ; les Abdéritains avaient appelé les Thraces à leur secours ; ceux-ci passèrent à l’ennemi au moment du combat, et les Abdéritains, entourés, furent presque tous taillés en pièces. Les Triballes s’approchèrent aussitôt de la ville, et elle eût été dans l’impossibilité de leur résister, si les Athéniens, avertis à temps, n’étaient arrivés avec des forces imposantes, qui les forcèrent de se retirer[8].

Abdère fut, en 317 av. J. C., abandonnée par une partie de sa population, à cause des rats et des grenouilles qui, y pullulant d’une manière extraordinaire, en rendaient le séjour insupportable ; et Cassandre, qui régnait alors en Macédoine, donna aux émigrants des terres sur les frontières septentrionales de ce pays[9].

Enfin, le dernier roi de Macédoine, Persée, voulant punir les Abdéritains des réclamations qu’ils lui avaient adressées au sujet de l’énormité des impôts dont il les accablait, vint les attaquer à l’improviste, et saccagea entièrement leur ville[10] ; mais, bientôt après, Paul Émile, vainqueur de ce prince, leur donna les privilèges des villes libres[11], privilèges qu’ils conservaient encore au temps de Pline[12].

Le nom moderne d’Abdère, Polystilo, indique l’importance que conservèrent longtemps les ruines de la ville antique ; cependant, des nombreux édifices qu’elle devait posséder, deux seulement sont mentionnés par les auteurs : un temple de Jason[13] et une tour nommée par Mêla[14] la tour de Diomède. On possède de cette ville un assez grand nombre de médailles, dont les types ordinaires sont un griffon et un cantare. Ainsi que les Marseillais, les Abdéritains dévouaient, au commencement de chaque année, un homme qu’ils tuaient ensuite à coups de pierres, pour le salut commun[15].

Le Nestus, qui changeait quelquefois de lit, et inondait souvent ses rives[16], formait près de son embouchure de vastes marais. Les anciens attribuaient aux exhalaisons de ces marais le peu d’intelligence des habitants d’Abdère, dont la stupidité était en effet devenue proverbiale[17] ; cette ville avait cependant donné naissance à plusieurs personnages célèbres : Démocrite, Protagoras, Anaxarque, Hécatée.

1.

Herodot. I, 168, 160.

2.

Id. I. 165.

3.

XIV, p. 644.

4.

Wierus, De præstigiis, lib. VI, cap. vii.

5.

Herodot. VII, 1620.

6.

Id. VIII. 120.

7.

Diod. Sic. XII, 72.

8.

Diod. Sic. XV, 36 ; Æn. Poliorcet. c. 15.

9.

Justin. XV. 2.

10.

Tit. Liv. XXXIII. 4.

11.

Id. XLV. 29.

12.

Hist. nat. IV, 11, 18.

13.

Strab. XI, p. 531.

14.

Mela. II, 2.

15.

Ovid. Ibis,,469.

16.

Fragment. lib VII geographicor. Strabonis Palatico-vatican., ed. Tafel, p. 32.

17.

Voy. Cecer. ad Attic. IV, 16 ; Juven. X, 50 ; Mart. X, 25.